jaiplusdesouvenirs

04 décembre 2006

 

Furor


Peu d'entre nous le savent mais les secrets touchent inégalement les hommes, je ne suis pourtant pas janséniste ni cathare mais je crois que nous ne sommes pas tous égaux pour ce qui est du langage des fleurs...
Et moi je sais une chose que peu d'entre vous savent mais qu'aujourd'hui il m'est donné de dévoiler à tous : les chevaux de Diomède ne sont pas tous morts, non. Il en reste quelques uns.


Je le sais et pour cause, je viens de passer de nombreux jours à galoper toutes brides abattues à travers marécages et monts à l'aspect desertique et lunaire, je sors d'une longue lutte pour ne pas tomber, malmenée que j'étais, tour à tour sur ou sous un cheval qui s'ébrouait continuellement, plein de rage, bavant, hurlant violemment et puissamment déchirant la nuit et la chair tendre de tout ce qu'il était amené à croiser, galopant si vite, si fort, qu'on aurait dit qu'il voulait rattraper la nuit et la dévorer elle aussi, la déchiqueter de ses dents affutées...

Dyomédon...


Comment me suis-je retrouver là me diriez vous sceptique ? et que puis-je y faire moi c'est moi que l'on a choisie pour terminer leur règne et achever le travail d'Hercule ? je n'ai nulle preuve de ma bonne foi, contentez vous de savoir et de voir, Lunourana superbe, jonchée tant bien que mal sur la croupe nue d'un étalon habité de folie démoniaque. Et anthropophage...

Croyez moi la chose ne fut pas aisée, tant par la faim qui me tirallait l'estomac que par la peur de tomber et d'être dévorée, piétinée. Mon extrême fatigue, mes prières à Zeus et Dyonisos, Eole aussi que je voyais parfois sourire entre deux nuages, se tournant la moustache... tout concourut à faire de ces nuits sans fin un véritable cauchemar.

Ma cavale galopait si bien qu'on ne vit jamais le jour, tournant autour de la terre, eternellement nocturnes...
Sa fureur augmentait de ne me pouvoir déloger. Et moi, ne vivant qu'à demi, je me retenais à ses crins, mon squelette en entier m'était douloureux...

Longtemps dura cette folle calvacade à la surface de la terre, ma monture avalant enfants et vieillards et moi d'inutiles sanglots...
Longtemps, mais pas toujours.
Il survint un moment où je sentis la course ralentir imperceptiblement, puis bientôt plus nettement.
Il vint un moment où la vitesse se fit clairement plus lente. Jusqu'à n'être qu'un trot, le souffle de l'animal se fit rauque, je sentais entre mes jambes ses lourds flancs haleter. Bientôt ce ne fut qu'une marche...
Enfin la bête s'affala pesamment.

Alors, après avoir attendu le dernier râle de l'animal, à l'écho si inquiétant, s'élevant au dessus des pays et des mers... je m'approchais et dans un dernier sursaut de force j'enfonçais violemment mon poing dans son poitrail pour en sortir le coeur.
Et je bus, je bus la vie, le sang des vieillards, des enfants, des jeunes hommes, dont le regard hagard frappa une dernière fois mon souvenir, que Dyomédon avait en sa fureur dévorés.
Et je happais la vie là même où la mort avait cru avoir le dernier mot.

Oui, je vous prie de me croire, ce ne fut pas une lutte facile, et il me faut à présent rentrer chez moi, mais je sais que bientôt... il me faudra vaincre un autre de ces chevaux malins. Alors à nouveau, malgré la fatigue et la peur, je boirai, fatalement, le sang de l'animal. Car je ne peux que vaincre.


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