jaiplusdesouvenirs

12 avril 2006

 

PUZZLE


"Mais, quand d'un passé ancien rien ne subsiste, après la mort des êtres, après la destruction des choses seules, plus frêles mais plus vivaces, plus immatérielles, plus persistantes, plus fidèles, l'odeur et la saveur restent encore longtemps, comme des âmes, à se rappeler, à attendre, à espérer, sur la ruine de tout le reste, à porter sans fléchir, sur leur gouttelette presque impalpable, l'édifice immense du souvenir."








Je prends, car j'abandonne le passé composé trop cérémonieux, cette immense affiche collée dans un coin de ma tête, cette affiche de toi et moi, imprimée sur du papier journal au format A3.
Je la décolle doucement, regardant chaque détail pour la dernière fois, m'abandonnant à la plénitude du souvenir, puis je la pose bien à plat... émue de ce que j'y vois, pour la dernière fois.

Et voilà que je commence à déchirer une longue bande de nous deux dans la longueur, un bout de ton coude qui m'enlace et un bout de mes hanches qui dépassent, une longue bande de nous deux qui attaque le souvenir... corrosive... le bruit du papier journal qui se déchire... faire feu de tout....
Et voilà une autre bande avec cette fois tes yeux fermés sur moi me regardant à travers tes paupières et un coin de ma bouche qui sourit à travers le baiser que je te rends....
Encore une bande de nous deux, avec un spot de musique tamisée dans le coin à droite, des gens flous derrière nous, nos pieds, tes mains sur moi....
Trois longues bandes de nous deux... que je dispose sur la table de la cuisine, et je les mélange et tes coudes sont dans ton dos, et ma bouche est pour un autre...
Et je continue à déchirer ces bandes encore trop intelligibles, et c'est toi et moi qui faisons l'amour dans les calanques à Hyères sur un petit bout de papier, c'est nous deux qui dansons à la Vendetta à Madrid sur cet autre morceau, et sur ce bout là ce sont quelques mots "besàme" qui ont "élevé le sommet que devra franchir mon attente", ce sont nous trois, en Sicile, sautant d'un canapé à l'autre et se poussant aux pieds du lit riant comme les enfants que nous savons toujours être quand nous sommes ensemble, et sur ce bout de papier vert, ce sont les rizières deBali.
Mais je déchire encore, des petits bouts de vie, des petits samples musicaux dont les regards viennent taper au fond de l'âme et me hantent depuis toujours "me gustas", "je t'aime mon coeur je t'aime", "ma chérie"... jé déchire de minuscules morceaux sur lesquels un rai de lumière joue avec la poussière et en illumine chaque particule comme un milliard de chétifs diamants, de pépites dorées, en suspension aérienne, et à travers les volets, le pin, et à travers les brindilles scintillantes du pin, le ciel bleu et la mer ; et de ce qu'il me reste, ma maison bleue aux senteurs de résine avec bien sûr le bruit des tourterelles, et sur ce morceau là, toi et moi encore, cachés sur un toboggan au beau milieu d'une nuit madrilène, tiens me voici pleurant face à ma fenetre, quand j'avais 20ans, et sur ce papier rougeâtre, te voici toi mon premier amour, et nous chantons Brel a tue tête chez toi et seule nous éclaire la lumière des plaques electriques et à ce moment nous savons alors que nous nous aimons ...
Il y en a plein la table, des petits bouts du puzzle de ma vie, je vais souffler dessus, je souffle...... et les voici dansant au dessus de ma tête, tourbillonants, me faisant rire de toutes ces gens et cet amour et ces couleurs et ces pays et ces mots qui s'élèvent "me gustas besàme je t'aime mon coeur", les voici comme les gouttes de l'océan que je projette au dessus de moi pour les voir un si court instant suspendues dans le ciel avant qu'elles ne m'éclatent au visage...
Je souffle....
il n'y a plus de toi, il n'y a plus que moi






"Et comme dans ce jeu où les Japonais s'amusent à tremper dans un bol de porcelaine rempli d'eau, de petits morceaux de papier jusque-là indistincts qui, à peine y sont-ils plongés s'étirent, se contournent, se colorent, se différencient, deviennent des fleurs, des maisons, des personnages consistants et reconnaissables, de même maintenant toutes les fleurs de notre jardin et celles du parc de M. Swann, et les nymphéas de la Vivonne, et les bonnes gens du village et leurs petits logis et l'église et tout Combray et ses environs, tout cela qui prend forme et solidité, est sorti, ville et jardins, de ma tasse de thé."


Comments:
"Nostalgophobe", hein ?
Les jours pairs je suppose.
C'est quand même fichtrement jouissif, ce kaléidoscope jivaro entre deux tranches de Marcel. hmmmmm. Ca fait du bien quand il pleut.
 
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